Dans le domaine de l’histoire de l’art, la notion du « cadre » est indispensable pour la délimitation d’une image. Le cadre est ce qui permet de distinguer entre « le dedans » et « le dehors ». Ce qui fait partie de l’image, à destination d’un spectateur, et ce qui l’entoure, n’appartenant pas à l’ordre de la représentation, mais du milieu environnant. Or, l’art contemporain contester ces distinctions, d’un côté en brouillant les limites entre « l’intériorité » du tableau et « l’extériorité » de l’espace qui l’entoure, et de l’autre côté en questionnant même le statut de la représentation en tant que telle.
Au moment où dans le champ de l’art il y a un vif questionnement qui peut aller jusqu’a la contestation des notions du « cadre » et de l’encadrement, il n’en va pas de même pour la psychanalyse. Là, la notion de « cadre » est centrale pour envisager la rencontre de ces deux individus qui seront l’analyste et son futur analysant. L’essence même de tout échange qui aura lieu entre ces deux personnes est entre autres le fait qu’elle ne se déroulera pas n’importe où, mais dans un lieu précis, à un temps précis.
Le cabinet du psychanalyste, l’espace qui se définit par le dispositif divan-fauteuil ne peut pas se réduire à des interprétations qui l’envisagent sous l’angle de la fétichisation d’un arrangement spatial devenu « culte » depuis le temps de Freud. Loin d’épuiser sa fonction en tant que « interior désign » ce dispositif est plutôt le support matériel d’un « topos » psychique. Cette aire, à la manière de l’« espace transitionnel » défini par le psychanalyste anglais Donald Winnicott, serait une zone intermédiaire entre réalité extérieure et réalité psychique, entre le monde externe et les projections de l’analysant. L’architecture du lieu n’est donc pas neutre, dans la mesure ou elle reflète l’architecture du discours qui trouve sa matrice de réception dans cet espace ...
... Dans son nouveau travail, Savvas Lazaridis visite ce lieu particulier qu’est le cabinet de l’analyste, lieu d’accueil par excellence de la parole du sujet en analyse. En respectant son « cadre », il ne s’intéresse pas à la description, il contourne toute approche « documentaire » de l’affaire. Le visage de son hôte, invisible par l’analysant couché sur le divan, n’entre jamais dans le cadre de la photo. Dans sa procédure il ne cherche pas à rendre reconnaissable l’identité du lieu. Tout au contraire, ce qu’il essaie de capter est parfois le détail, tel un pli sur la couverture du divan ou une vue d’un coin de la chambre où la lumière du jour est perceptible. À travers ses photos son regard croise celui de l’analysant virtuel, ainsi que le regard de l’analyste qui « investit » ce lieu et le rend « habitable » par l’analysant, sans pour autant s’identifier à eux.
Il faut souligner que dans l’opus magnum de la psychanalyse, « L’Interprétation des rêves » de Sigmund Freud, publié en 1900, son auteur parle de la « figurabilité » (Darstellbarkeit) comme d’une propriété primordiale des pensées du rêve. Étant donné que l’association libre, ce mode de pensée qui est favorisée par le dispositif divan-fauteuil, est susceptible de se déployer au plus prés de la pensée du rêveur, nous nous rendons compte que cet endroit curieux qu’est le cabinet du psychanalyste, a plus d’affinités à un espace qui puisse contenir des rêves éveillés, des fantasmes, qu’à n’importe quel espace de la vie ordinaire. « I close my eyes to see » écrivait Joyce dans « Ulysse ». C’est peut-être ce que Savvas Lazaridis aussi nous incite de faire en nous introduisant sans aucune vocation voyeurisme dans ces lieux intimes où a lieu ce voyage singulier qu’est l’analyse…
Amalia Atsalaki,
Psychologue clinicienne,
Dr en Psychopathologie-Art therapeute